Les figures du producteur (producer) et de l’ingénieur du son se sont progressivement vues accorder des formes de reconnaissance artistique dans les différents champs de la production phonographique, en particulier depuis l’avènement des esthétiques psychédéliques et électroniques. La recomposition des frontières entre « amateurs » et « professionnels », de même que les nouveaux standards et espaces (numériques) de la communication artistique ont plus récemment donné à voir – comme jamais et sous différents angles –, l’œuvre musicale à ses différents stades d’élaboration, voire dans une multiplicité de versions.
Malgré ces nouvelles figurations dans l’espace public, qui sortent de l’ombre les interactions permettant la fixation des sons, la spécificité du travail de studio reste un objet d’attention secondaire dans la littérature francophone en sciences sociales. Cela est d’autant plus vrai pour ce qui concerne la diversité des configurations et formes de travail d’enregistrement musical dans le Sud global. Dans ces pays en cours d’industrialisation et anciennement colonisés par des pays du Nord, l’intégration au capitalisme globalisé ne représente pas une simple homogénéisation culturelle subie. Sans nier les effets de domination persistants, l’industrialisation et la globalisation des cultures musicales y ont aussi impliqué la circulation, l’appropriation et la différenciation de ressources esthétiques et techniques, dans la production des phonogrammes qui circulent aujourd’hui sous la forme de bandes, de disques ou de fichiers.
L’informatisation des studios des Suds s’interface en effet à une globalisation qui se dédouble en deux mouvements qui ne sont pas forcément simultanés. D’une part, l’équipement des studios d’enregistrement et de mastering donne lieu à une organologie digitale qui est encore à caractériser finement, dans ses usages comme dans sa miniaturisation ou dans la réduction relative de ses coûts. De l’autre, l’interconnexion informatique des studios permet de nouvelles formes de collaboration et d’accès à des services qui sont utilisés autant dans la production, que dans la commercialisation et la promotion des produits musicaux et des studios eux-mêmes.
Cet appel vise à rassembler des travaux sur cette reconfiguration sociotechnique qui réarrange la position des studios des Suds, dans des interdépendances et des imaginaires nouveaux. La performativité recherchée dans des discours comme l’African Digital Optimism, parvient à attirer des fonds de capital risque, des majors, des opérateurs télécom et des plateformes. À une autre échelle, des artistes internationaux réinvestissent leur pays d’origine et des agences de coopération internationale mettent parfois à disposition des ressources de production ou des cycles de formation. Ces investissements peuvent laisser croire à l’hypothèse d’une valorisation et d’une relocalisation des activités dans de nouveaux centres de production phonographique, qui contrastent avec les formes antérieures de circulation internationale des ressources artistiques et de production phonographique, comme ce fut le cas pour la World Music (Martin, 1996).
L’hypothèse de cette relocalisation se vérifie-t-elle dans la constitution de marchés nationaux ou régionaux, dans les stratégies des différents acteurs artistiques (migrations Sud-Sud et Nord-Sud) et la circulation des œuvres à différentes échelles (local, national, international) ? Et si ces réarrangements donnent l’espoir de voir fleurir de nouvelles formes d’autonomie et d’émancipation dans la production artistique, quelle(s) forme(s) prennent les disparités toujours présentes entre Nord et Suds, dans les conceptions des standards de qualité sonore (Meintjes, 2003), dans les budgets et les matériels disponibles, dans l’accès à la diffusion et à la distribution ?
Cet appel est ouvert à des contributions permettant de susciter un dialogue disciplinairement ouvert, allant de la socio-économie des biens symboliques à l’ethnomusicologie, en privilégiant l’apport de matériaux ethnographiques, d’études sur la genèse et la structure des champs locaux de la fabrication sonore, ou d’analyses de trajectoires individuelles ou collectives de professionnels dans un espace diversement globalisé. Les propositions d’articles pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs des quatre axes suivants, qui proposent différentes échelles d’approche du travail de studio.
Axe 1 : Ethnographies du projet phonographique
Axe 2 : Portraits du technicien en artiste et entrepreneur
Axe 3 : Studios dans les Suds : des mondes à part ?
Axe 4 : Plateformisation et réintermédiation du travail de studio
Envoi des propositions
1re étape : envoi et sélection des résumés (28 octobre 2022)
2e étape : envoi des articles (13 mars 2023)